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Du presqu’îlotage : notice

Le concours d’aménagement de Champ Marteau Nord à Noirmoutier-en-l’Île intervient dans le cadre d’un appel à projet lancé par le Conseil Départemental intitulé «Dessinons la Vendée de demain». Nous sommes amenés à répondre à deux attentes fortes, complémentaires, indissociables : d’une part proposer un projet innovant en termes de conception urbaine, et dans le même temps apporter une réponse satisfaisante en termes de préservation du cadre bâti et paysager de l’île.

Comment résoudre cet écart, qui nous apparait comme un défi, entre innovation urbaine et paysage vernaculaire ? Nous sommes d’emblée convaincus que le caractère innovant de la réponse apportée à ce concours ne pourra tenir tout entier dans un travail formel. Notre proposition se place donc du côté de la méthode, des moyens, d’une autre façon de faire la ville, que nous avons nommée, contextuellement, « presqu’îlotage ».

« La technologie est sociale avant d’être technique. » G. Deleuze

Le vernaculaire est toujours, et de tout temps, le produit d’une innovation collective et localisée c’est-à-dire ce qui a été construit sans modèle établi, sans plan ni maquette. Et jamais la production de la ville n’aura cessé d’être cette si belle occasion d’innover. Ce qu’on reconnaît aujourd’hui comme une simple forme, mignonne, pittoresque, est en réalité le produit de véritables intentions, de trésors d’invention. Dans la technique, les ressources, la distribution, en un mot dans les moyens. Mais la forme, elle, de l’habiter, change peu.

Ainsi il y aurait comme une aporie à toujours vouloir changer la forme d’usages qui eux restent constants, au grand désarroi, sans doute, des inventeurs en tout genre. Tout comme il y aurait un aussi grand paradoxe à vouloir ressusciter des formes dont nous ne disposons plus des moyens. Innover c’est donc, avant toute chose, accepter la forme et en actualiser les moyens. Innover c’est être de son temps. L’innovation ça ne s’invente pas.

Renoncer aux vieilles certitudes

La représentation du territoire n’est pas, loin s’en faut, partagée par tous et le recours à l’autorité extérieur du vernaculaire, véritable image d’Épinal, ne résout que partiellement l’écart qui se creuse entre les volontés politiques et les attentes citoyennes. La fascination qu’exerce sur nous les formes héritées du passé est pur esthétisme. Et comment ignorer ce que la préconisation formelle – quand elle n’a que trop souvent valeur d’imposition – peut avoir de déroutant pour le quidam. Quand par exemple on soumet à un ménage des références construites qu’il ne comprend pas, pis, qu’il ne peut pas même s’offrir, on mesure immédiatement l’écart qui existe entre toutes les représentations qui sont associées à un projet.

Alors comment travailler la représentation, l’idée que l’on se fait de son territoire, ensemble ? Car la fabrication du vernaculaire n’aura jamais été rien d’autre que cela, et il est très clair que sa production n’a en son temps pas été sans heurts. Ils ne savaient pas, à l’époque, que c’était impossible, alors ils l’on fait. Tout bonnement. Ils ont réussi, avec les moyens dont ils disposaient, à inventer. C’est le seul enseignement que nous décidons de retenir : il faut se donner les moyens. C’est-à-dire faire avec.

Ainsi, où situer l’innovation ? Dans le comment. Non pas comment innover avec les formes vernaculaires – ce qui consisterait à rester fasciné par le passé – mais comment actualiser ce qu’il y avait déjà d’innovant dans le passé – ce qui est une façon d’être résolument tourné vers l’avenir. Comment se placer dans une situation qui fera de ces nouvelles constructions, le vernaculaire de demain ?

Comment, encore, donner la liberté, le petit jeu qui laisse une chance aux bonnes idées de voir le jour ? Il n’est pas rare par exemple, dans le cadre d’une procédure lotissement, qu’un acquéreur ait une proposition d’implantation judicieuse et cependant irréalisable car le projet d’aménagement ne l’avait pas anticipée. Alors il ne s’agit pas de travailler sans règle aucune – après tout, les formes authentiques sont aussi des formes contraintes, par les matériaux, les compétences, en un mot : par les ressources – mais plutôt que de situer le travail de conception dans le simple exercice formel, stylistique dirions-nous, nous choisissons de le placer dans la formalisation de nouvelles règles.

Et ces règles, en tant qu’objet, seront bien évidemment ancrées dans la réalité, contextualisées, circonstanciées. Elles seront techniquement réalisables, juridiquement faisables, architecturalement tenables et urbainement viables.

Introduire le presque

De nouvelles règles, pour jouer à quoi ? Pour jouer ensemble. Pour partager le territoire. Pour laisser du jeu justement, pour ménager sa place, la juste place. La justesse. Le juste dimensionnement, à la fois technique mais aussi juridique par exemple, etc.

Être juste, c’est aussi pouvoir ajuster, c’est-à-dire se tenir au bon endroit, entre le pouvoir public et le constructeur privé. Tout ce travail ne vise donc en rien d’autre que de replacer le concepteur que nous sommes, là où il doit se tenir. Nous envisageons d’abord notre contribution de la sorte : nous avons une simple obligation de moyen et non de résultat. Ce qui ne nous enlève aucune responsabilité, bien au contraire. Car en tant que tel nous vous proposons les moyens les plus adaptés à vos attentes, et nous en restons les garants tout le temps du projet. Bien sûr nous restons autant que vous intéressés par le résultat de l’opération mais nous ne souhaitons pas en être les seuls « responsables ».

En acceptant les règles établies, celles qui font du lotissement une procédure si évidente qu’elle ne saurait être remise en question, tout ce que l’on peut chercher à fabriquer c’est le meilleur projet possible. Ce faisant, tout ce que l’on souhaite produire d’espaces partagés, de représentations communes du territoire reste comme une incantation sans objet. Vaine. Souvenez-vous : un lotissement, parfait ; des rêves de paradis ; et finalement rien d’autre que la banalité.

Pour nous, le meilleur projet possible est ailleurs : dans l’introduction d’une approximation, d’un jeu entre d’un côté le projet urbain et de l’autre les projets individuels. C’est presque un lotissement mais ce n’est pas un lotissement. C’est un lotissement dont on a changé les règles pour laisser la place au collectif. Nous situons donc notre proposition formelle entre le plan d’aménagement et les permis de construire à venir. A la croisée des chemins. Cette forme, nous l’appellerons voisinée. Une voisinée est une région, une aire géographique, qui dessine un groupe de travail dont l’objet est de produire un projet collectif en amont des projets individuels et en aval du projet urbain. Ce qui doit ici retenir notre attention, c’est ce que nous autorise cette forme nouvelle qu’est la voisinée. Elle déplace le travail du dimensionnement depuis la question de l’échelle, vers celle de la taille. Qu’est-ce à dire ?

Ajuster la taille

Pour vous faire saisir de la façon la plus nette possible cette petite nuance que nous introduisons dans le projet, nous prendrons un exemple : celui de la réserve foncière destinée à accueillir des jardins partagés. La dimension de cet espace ne nous semble pas juste. Il est mal « taillé » cet espace. Et si nous avions seulement réfléchi en terme d’échelle, cet état de fait ne nous serait pas apparu car la surface qui lui est attribuée, en regard du nombre de logements, semble tout à fait correcte. Mais dans un projet urbain la définition d’une telle surface n’est pas seulement mathématique ; elle a également un sens pratique puisqu’elle doit être partagée. Alors on cherche à la remplir, à lui attribuer un programme : ici un jardin partagé, là un espace d’agrément. On cherche à la remplir sans aucune garantie que cela fonctionne.

Et si nous mettions de coté, un instant, la définition purement théorique de cet espace (un simple dimensionnement à l’échelle du nombre d’habitants) et que l’on considérait sa seule dimension pratique. La question serait alors toute autre. Une question comme celle-ci sans doute : quelle est la juste taille d’une surface pour qu’elle soit partagée ? Et alors nous trouverions bien, par la suite, le bon nombre d’habitants pour s’y investir et définir l’usage qu’il souhaite en faire.

Vous le voyez, en plaçant la question du « partagé » du côté de la taille, on ne veut plus simplement dimensionner une surface mais on cherche à définir le nombre raisonnable d’usagers à même de pouvoir partager un espace – en leur ménageant la juste surface. Ainsi naissent les voisinées : quand le bon nombre est atteint. Et ce qui se dessine, se formalise alors, ce n’est pas à proprement parler un plan – pas seulement – mais les conditions du plan. Celles du plan le plus à même de produire des représentations communes.

Non pas une question d’échelle, donc, qui serait encore et toujours une manière de réduire fidèlement la réalité à sa représentation anticipée par le projet, mais bel et bien une question de taille. La bonne mesure, le savant dosage entre le plan de masse, les éléments techniques, les données publiques, les outils juridiques et réglementaires, toutes les différentes dimensions du projet – dimensions qui sont justement sans échelle et donc incomparables.

Ménager le territoire

Notre plan d’aménagement se contente donc de définir un ensemble d’îlots que dessinent les invariants urbains que nous avons su identifier et organiser. Ces îlots ne sont pas allotis mais à lotir. Ce sont les groupes de projet défini par les voisinées qui en auront la charge. Chaque îlot est suffisamment grand pour recevoir autant de parcelles que d’acquéreurs participant au groupe de projet, ainsi qu’une surface en plus, à partager. Cet espace collectif est à l’image du jeu que nous souhaitons introduire dans les procédures classiques de planification : c’est lui qui autorise la libre distribution des parcelles à l’intérieur de l’îlot, selon des configurations diverses et variées. Pourront également être négociés, y compris avec les riverains participants au groupe: les questions de partage d’énergie, d’implantation du bâti, d’accès aux parcelles, de plantations, et bien sûr d’usage de l’espace collectif. De même pourra se poser la question des demandes d’autorisation de construire : elles pourront faire l’objet de permis groupés afin de rationaliser les coûts.

Les voisinées constituent donc une véritable étape de définition collective de l’opération, entre d’un côté le plan d’aménagement concerté avec les pouvoirs publics, et de l’autre les projets individuels de chaque acquéreur. Introduire le presque, déplace les habitudes de conception pour les resituer au cœur du projet. Entre une position à l’aplomb depuis laquelle on manipule de simples échelles de représentation, et à l’extrême opposé du projet une position souvent inconfortable de correcteur de plans de maison, nous préférons celle que ménage le presqu’îlotage : en prise directe à la fois avec le politique, le particulier et le constructeur, pas seulement devant l’un et derrière les autres.

Le presqu’îlotage

Ainsi le plan de masse est comme la carte de cet archipel, où chaque îlet est un espace négocié entre pouvoir public et propriétaires privés (ou bailleur social) et aussi un espace partagé entre résidents et riverains, quand le montage opérationnel en constitue en quelque sorte la sédimentation.

Choisir, faire le choix, de ne pas simplement construire dans le monde réel le double d’une image figée, mais au contraire de lier son sort à un mode d’emploi, c’est reconnaître que les moyens sont plus important que la fin, c’est aussi et surtout accepter qu’une certaine forme d’indétermination est la seule et unique garantie qu’un projet puisse être partagé. Et c’est dans ce partage, précisément, que les représentations accèdent à une forme de communauté de bien. 1

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Textes extraits de la notice du concours

Rédaction : F. Caridel