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Concertation

L’appel à la «maitrise d’usage», présentée comme le troisième acteur du projet avec la maîtrise d’ouvrage et la maitrise d’œuvre, devient un pré-requis pour toute opération d’aménagement. Démocratie participative, gouvernance, concertation, démarche participative, dialogue citoyen, vivre ensemble… sont autant de terminologies et d’exigences aujourd’hui intégrées au langage urbanistique.

L’article propose un retour d’expérience au-travers d’études urbaines incluant un volet participatif, menées ces deux dernières années sur des communes de petite taille (moins de 4000 habitants), à l’échelle d’un bourg, d’un quartier ou d’une entité urbaine.

La concertation au service du projet

Un progrès dans la pratique

Le temps des discussions autour de projets en huis clos entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre est désormais révolu. L’heure est aujourd’hui à la participation citoyenne, avec pour objectif annoncé l’élaboration d’une vision urbaine partagée. L’enjeu revient à remporter l’adhésion des habitants – du plus grand nombre, du moins – à un projet futur, en sollicitant leurs compétences d’usagers et en faisant appel à leurs idées pour la ville de demain.

Cela constitue sans appel un progrès dans la pratique, en faveur de l’expression démocratique. Donner la parole aux citoyens ne constitue pas une innovation en soi, en revanche les moyens mis en place pour intégrer le public aux décisions politiques peuvent être qualifiés d’innovants.

Le recours aux contributions citoyennes, par le biais des réseaux sociaux, de chantiers participatifs encore d’ateliers, tels que décrits par la suite, permet d’adoucir les rapports entre décideurs et usagers, dans une époque de défiance vis-à-vis de la démocratie représentative. Les décisions peuvent apparaitre de manière plus transparente auprès de la population. Les critiques s’apaisent, le temps du débat en tous cas, à l’encontre d’élus jugés trop dépensiers ou d’architectes capricieux.

D’un point de vue de concepteur, la participation des habitants enrichit naturellement le dialogue et nourrit de fait le projet. Les rencontres constituent des moments de convivialité que l’on apprécie, l’occasion de se rapprocher des futurs usagers, de mieux les comprendre, de cerner leurs attentes, …

Un apport concret au projet

La première rencontre entre maître d’œuvre et citoyens volontaires se déroule généralement sous la forme d’une « balade urbaine ». A cette étape nous recueillons les témoignages des habitants qui interviennent en tant qu’expert, par leurs pratiques du lieu, leurs connaissances de l’histoire et de l’évolution de la ville. Ils savent ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, sont familiers des acteurs clés, connaissent les relations entre eux, peuvent nous orienter vers des personnes à consulter, nous faire découvrir des lieux méconnus, insolites, des raccourcis, etc.

On observe généralement à cette étape une analyse assez juste, une capacité à s’immerger dans les problématiques urbaines. Souvent énoncées sous forme de remarques ponctuelles, très pragmatiques, relevant des situations personnelles, charge à nous, animateurs, de synthétiser et de traduire sous forme d’enjeux toutes ces informations. Cela suppose bien entendu une posture humble de notre part : être à l’écoute, recevoir les informations sans jugement, ne pas se positionner en tant que « sachant ». Cela nous amène par conséquent à une certaine modestie quant aux futures propositions, afin qu’elles coïncident avec les attentes des habitants, et nous pousse à identifier les problématiques essentielles, afin d’orienter les élus vers les projets prioritaires à engager.

Au démarrage du projet, la participation des habitants constitue donc un apport indéniable et la notion de maitrise d’usage y prend tout son sens. L’implication des citoyens nous permet de gagner un temps considérable dans la connaissance d’un site, de tâter le pouls d’une commune, d’estimer l’aversion de ses citoyens au changement et de percevoir les leviers pour ce faire.

Les limites de l’exercice

Limite entre expertise et savoir-faire

A l’issue du diagnostic, la participation citoyenne consiste généralement en des ateliers de « coproduction ». Il s’agit alors de faire émerger des idées, de tendre le crayon aux habitants pour qu’ils imaginent leur projet idéal. Des outils d’animation sont mis en place pour susciter le débat et s’approprier les thématiques en question : sélection d’images références, éléments de puzzle et pictogrammes à positionner, propositions à rédiger sur post-it, … Les volontaires jouent le jeu mais on rencontre généralement à ce stade les limites de la démarche.

Des idées pouvant être audacieuses à l’oral souffrent d’une difficulté de représentation, que ce soit sous forme d’image ou de plan. Les participants ont généralement du mal à se projeter par eux-mêmes dans un futur, de surcroît à échéance lointaine. Les intérêts personnels, les pratiques individuelles influencent aussi fortement les idées avancées par les uns et les autres. Il manque également aux citoyens des notions de coût quant aux propositions qui peuvent être faites. Certains se brident pensant que cela va être hors de prix tandis que d’autres font des propositions qui, malheureusement, ne pourront pas voir le jour. Ainsi elles peuvent présenter un intérêt limité, tantôt trop timides, tantôt irréalistes. L’élaboration du projet idéal se confronte ainsi aux réalités d’une pratique professionnelle et à l’économie du projet urbain.

Limite de représentativité et d’expression

La constitution du groupe de citoyens volontaires constitue un premier biais dans la représentativité. Si l’appel à participer est généralement un succès, ce qui témoigne de l’engouement de la population vis-à-vis de ce type de démarche, nous devons généralement limiter le groupe à une vingtaine de personnes du fait des moyens d’encadrement et d’animation mobilisables. D’emblée, 25 participants ne peuvent être représentatifs d’une population.

En outre, la constitution du groupe est orientée par certains pré-requis. On souhaite qu’il soit à la fois à l’image de la population (classes d’âge, parité, actifs et retraités…), qu’il intègre les personnes directement concernées (riverains et usagers du site), comme des personnes plus extérieures, mais aussi des acteurs économiques, des personnes impliquées dans la vie de la commune (représentants associatifs…).

Au fil des rencontres, la participation au sein du groupe décline la plupart du temps, ce qui constitue un biais supplémentaire. Qu’importe, les plus motivés restent, et les plus motivés sont souvent les plus engagés – pour ou contre -, ceux qui ont un intérêt direct vis-à-vis du projet, et qui sont prêts à se faire entendre coûte que coûte, parfois au détriment des autres. La diversité des opinions a donc tendance à être lissée par l’effet de groupe dans un premier temps, puis, dans un second temps, par l’exercice de synthèse des échanges qui recherche en priorité les points d’accord pouvant servir le projet, faisant ainsi émerger l’opinion majoritaire.

Au sens de la recherche de consensus, la démarche correspond pourtant bien à la définition de la concertation, telle qu’on peut la trouver sur les dictionnaires en ligne : « pratique qui consiste à rechercher un accord, une entente, en vue d’une prise de décision ou d’un projet commun, entre toutes les personnes concernées, qu’elles aient des intérêts convergents, complémentaires ou même divergents ».

Poser les limites

Au sens de la portée décisionnaire dudit consensus, le terme de concertation parait en revanche inapproprié. En effet, la prise de décision ne revient pas aux citoyens concertés mais bien au maître d’ouvrage du projet. Même s’il est bien rappelé aux habitants que leur avis sera pris en compte à titre consultatif, la dérive serait de leur faire croire qu’ils ont les rennes du projet, avec pour conséquence de susciter des attentes et des frustrations en cas de projections déçues.

Ainsi, au sein du lexique employé, le terme de « participation » parait d’ores et déjà plus adapté que celui de « concertation ». S’il fallait néanmoins trouver une expression qui traduise au mieux ce type de démarche, celle de « contribution citoyenne » parait à la fois plus juste au regard des apports réels et plus honnête vis-à-vis de la population.

La dérive inverse, pour le maître d’ouvrage cette fois, consisterait à s’appuyer sur une démarche participative afin de se délester de sa mission de porteur de projet. Dans le cas d’un projet délicat à faire accepter auprès de la population, une mission de concertation, assurée par une maîtrise d’œuvre extérieure, peut permettre de « faire passer la pilule », si tant est que la mission aboutisse. On peut également penser à une maîtrise d’ouvrage qui tiendrait en quelque sorte un discours « in », le projet acceptable, développé par les citoyens, et un discours « off », le projet viable économiquement et techniquement, celui qui aboutira dans tous les cas.

A l’échelle des « petits projets » à partir desquels cette note a été bâtie, le risque de rencontrer ce type de dérive reste faible dans la mesure où les instances décisionnaires, limitées en effectif et inévitablement proches de leurs administrés, ne peuvent que faire preuve de transparence. En revanche, à plus grande échelle, celle des grandes agglomérations, des métropoles, la concertation prend une autre dimension, rejoignant les sphères de la communication publique et du marketing territorial. On a souvent alors le sentiment que ces démarches de concertation, attractives et pleines de bonnes intentions, ne sont finalement que des os à ronger donnés aux citoyens afin de détourner leur attention des décisions réellement impactantes pour la ville, et le prétexte à une belle campagne de communication.

En résumé, si la participation des habitants à la fabrique de la ville constitue un réel progrès dans la pratique et un enrichissement au service du projet, il faut raison garder sur ce que l’on peut attendre de ce type de démarche. Il convient d’encourager le recours à la maîtrise d’usage dans les limites de ce qu’elle peut objectivement apporter. Un projet réussi ne peut résulter que d’une synthèse de propositions. Il nécessite un parti pris fort, initié par un concepteur dont c’est le métier, et assumé par un décideur sensé soutenir une vision d’avenir dans l’intérêt collectif. C’est ainsi qu’il pourra résister aux étapes successives du projet et leur lot d’imprévus, de demandes de modification et de levées de bouclier… auxquelles il n’échappera probablement pas, malgré la mise en place d’une concertation citoyenne !

Autour du sujet : métropolitiques.eu, lemonde.frespacestemps.net